Good leaver, bad leaver : le juste prix de la fidélité

Les régimes d’intéressement des employés peuvent être délicats à mettre en place car il existe de nombreuses règles à respecter. Dans cet article, nous souhaitons exposer notre réflexion sur ce que les employés clés, les fondateurs et les entreprises doivent savoir sur les dispositions relatives aux départs. Comment définir les bons départs (« Good leaver ») des mauvais départs (« Bad leaver ») ? Comment utiliser les clauses relatives à ces départs pour motiver plutôt que punir ?

Good leaver & Bad leaver
Cartographie des scenarios de départ d’un collaborateur avant et après un événement de liquidité (« exit »)

« Peut-être la certitude est-elle le secret des longues fidélités » théorisait Honoré de Balzac. En entreprise, avoir des certitudes aide à être fidèle. Ces certitudes peuvent être renforcées par des mécanismes d’intéressement et de participation sous conditions. Si la fidélité a un prix pour l’entreprise, l’entreprise ne saurait être naïve en cas de départ d’un collaborateur clé bénéficiant d’intéressements. L’infidélité se paye aussi. Via les clauses de « Good leaver » et « Bad leaver », l’entreprise peut assortir la sortie du capital social d’un associé, d’un mécanisme de récompense ou de sanction.

Les plans d’intéressement doivent trouver un équilibre délicat entre attirer, motiver et retenir les employés clés et autres soutiens de l’entreprise (nous les appellerons collectivement « bénéficiaires » dans cet article). Lorsque l’on accorde des actions ou des options sur actions à un bénéficiaire, penser à ce qu’il adviendra de cet intéressement lorsqu’il partira peut ne pas figurer en tête de sa liste de priorités. Ce n’est qu’au moment où celui-ci décide de passer à autre chose, que la clause de départ de son contrat devient soudainement très importante pour savoir s’il sera traité comme un « bon sortant » ou comme un « mauvais sortant ».

Les entreprises utilisent des clauses de départ pour définir ce qu’il adviendra des capitaux propres des fondateurs et des employés-clés lorsque ceux-ci quitteront l’entreprise. Les bons sortants conservent généralement leurs options sur actions acquises ; les mauvais sortants peuvent au contraire perdre leur droit de conserver toute action, y compris les options acquises. Dans un cas comme une faute grave, la réponse est généralement assez claire. Mais en dehors des cas les plus évidents, il y a peu de standardisation : chaque entreprise a sa propre définition de ce qui fait un bon et un mauvais sortant.

Comment définir un « Good leaver » et un « Bad leaver » ?

Les entreprises peuvent définir les bons et les mauvais sortants comme bon leur semble, en s’appuyant généralement sur les conseils de leurs avocats. Les cas les plus courants dans lesquels les bénéficiaires sont définis comme des bons sortants et conservent leurs options sur actions acquises après avoir quitté l’entreprise sont les suivants :

  • Retraite ;
  • Maladie grave ou décès ;
  • Licenciement sans faute, par ex. à la suite d’une fusion ou parce que la fonction n’est plus nécessaire.

En revanche, les mauvais sortants – qui perdent le droit de conserver des actions ou des options sur actions après avoir quitté la société – comprennent souvent des bénéficiaires qui :

  • Commettent une faute grave ;
  • Sont reconnus coupables d’un crime, d’une fraude ou d’un détournement de fonds ;
  • Enfreignent une clause de non-concurrence ou violent les termes d’un pacte d’actionnaires ;
  • Démissionnent volontairement (variable selon les entreprises comme discuté plus bas).

A ce stade il convient de souligner que ces clauses de départ s’appliquent bien souvent de manière différenciée aux fondateurs et aux employés.

Pourquoi les fondateurs et les employés sont-ils traités différemment ?

Inévitablement, il y a une différence entre un fondateur qui quitte son entreprise et un autre membre de l’équipe ayant moins d’influence d’un point de vue opérationnel. Cette différence affecte la façon dont les clauses de « Good leaver » et de « Bad leaver » sont conçues.

De nombreuses entreprises appliquent des clauses plus restrictives pour les employés, les traitant par défaut comme de mauvais sortants à moins qu’ils ne remplissent l’une des conditions que nous avons énumérées ci-dessus, les classant alors comme bons sortants. En revanche, les fondateurs sont généralement considérés comme de bons sortants, à moins qu’ils ne se soient livrés à des activités criminelles ou qu’ils aient commis une faute grave.

La raison de ce traitement « plus amical » est qu’un fondateur démotivé qui reste principalement pour s’accrocher au capital présente un risque opérationnel. Un fondateur désengagé peut avoir un effet dramatique sur les performances et la productivité des équipes. Leur donner la possibilité de passer à autre chose tout en reconnaissant leur contribution en leur permettant de conserver leurs parts semble être la solution la plus pragmatique.

Pour la grande majorité des autres membres d’une équipe cependant, s’ils ne présentent pas un risque systémique pour l’entreprise en cas de désengagement, l’option de restreindre la possibilité de conserver leur intéressement après leur départ sera souvent de mise.

Les choses se compliquent ainsi lorsqu’il s’agit de situations, comme cela arrive très souvent, dans lesquelles le bénéficiaire quitte l’entreprise avant une « exit » (par ex. une cession, une levée de fonds …).

Dans le tableau simplifié en tête d’article, nous avons essayé de cartographier les scénarios les plus courants (cf. cartographie ci-dessus).

Scenario 1 : départ du bénéficiaire après une « exit »

Le cas le plus simple est celui du bénéficiaire qui se trouve dans l’entreprise au moment d’une « exit » (voir partie droite du graphique) : toutes les actions et options acquises peuvent être exercées et vendues. S’il y a des options non acquises, celles-ci ne deviendront généralement pas exerçables et peuvent même être perdues car elles n’ont pas encore été « gagnées », sauf si convenu au préalable au moment de l’attribution ou si le conseil d’administration autorise un traitement différent.

Lorsque certaines personnes quittent une entreprise après une exit (le plus souvent des co-fondateurs), l’acquisition anticipée (ou « l’accélération ») à un ou deux déclencheurs peut faire une grande différence. Dans une acquisition anticipée à un seul déclencheur, un événement prédéterminé – généralement un événement de liquidité comme une vente de l’entreprise – entraîne l’acquisition instantanée de toutes les actions non acquises du fondateur, « accélérant » ainsi l’acquisition. Une acquisition anticipée à double déclencheur nécessite deux événements pour déclencher l’acquisition. Cela peut prendre la forme d’un événement de « good leaver », comme la fin d’un emploi, ainsi que d’un événement de liquidité comme une vente ou une acquisition.

Scenario 2 : départ du bénéficiaire avant une « exit »

En pratique, dans le cas du départ d’un bénéficiaire avant une « exit » (ou un événement de liquidité), l’argument selon lequel les options ont été octroyées en échange de l’apport (futur) du bénéficiaire prédomine. Ainsi, toute augmentation de valeur après le départ du bénéficiaire ne devrait plus bénéficier au sortant. Certains plans d’intéressement plus restrictifs prévoient même la possibilité pour l’entreprise de racheter à la valeur de marché les actions et options acquises dans un certain délai après le départ du bénéficiaire. Cela peut rendre le plan considérablement moins attrayant.

Dans un marché hyperconcurrentiel pour les talents et à une époque où les employés et co-fondateurs sont de plus en plus informés sur les plans d’intéressement, les entreprises ont la possibilité de démontrer leurs valeurs et de se démarquer en ayant leur propre définition de ce qu’est un bon et un mauvais sortant.

Considérer qu’un bénéficiaire de plan est un mauvais sortant est parfois assez simple. Par exemple, les employés qui ont exfiltré des données ou se sont livrés à des fautes sur le lieu de travail ont activement nui à l’entreprise, il est donc justifié qu’ils n’aient pas droit à leurs avantages.

En pratique, la question probablement la plus délicate concernant les bons et mauvais sortants est de savoir si un employé qui démissionne volontairement doit être traité différemment de celui qui est licencié sans motif. Les employeurs se demandent souvent pourquoi ils devraient « récompenser » quelqu’un qui les « abandonne ». Ainsi, il existe certains plans d’intéressement, qui traitent la démission volontaire comme un mauvais départ ou « sortant gris » (« grey leaver »), ce qui peut conduire le bénéficiaire à perdre tout ou partie des avantages acquis ou le contraindre à les vendre avec rabais.

Il est donc important pour l’entreprise de trouver un point d’équilibre entre une gestion financière responsable – essayer d’empêcher une dilution « inutile » des capitaux propres en ne récompensant que les personnes qui s’inscrivent sur le long terme – et une politique de clauses de départ trop peu restrictive qui pourrait nuire à la motivation des membres des équipes.

Dès lors, comment rendre des plans d’intéressements attractifs dans le cadre d’une gestion financière responsable ?

Avant de mettre en place des clauses de départ restrictives, pensez à l’attractivité de votre entreprise

Lorsqu’une entreprise met en place des pools d’actions ou des pools d’options sur actions à destination des employés, elle commence généralement par allouer une partie relativement petite de son capital- entre 5% et 10% par exemple. A mesure que l’entreprise évolue et selon sa croissance, le conseil d’administration et l’équipe de direction peut avoir à augmenter progressivement la taille de ce pool. Une pratique relativement répandue consiste à donner 10 % de l’entreprise aux employés au tout début (pré-série A), dans le but d’augmenter la taille de ce pool autour de 15 % à 20 % au fil des ans à mesure que l’entreprise se développe.

De nombreuses entreprises craignent le turnover, notamment les startups. Perdre des membres clés de l’équipe peut impacter lourdement l’entreprise. De plus, l’embauche coûte cher (le coût moyen d’un recrutement en France varie entre 3000 et 10 000€ en fonction des sources Insee, APEC…), prend du temps et peut même mettre en péril les objectifs de croissance.

La crainte de perdre des hommes-clés et de subir des difficultés d’embauche a conduit certaines entreprises à utiliser des dispositions relatives aux départs peu restrictives comme moyen de supprimer le roulement des employés. Mais les membres de l’équipe qui ne restent que pour leur part de capital -même hypothétique- ne font pas nécessairement avancer l’entreprise. Plutôt que de contribuer à la croissance, ils peuvent simplement attendre leur heure, celle qui leur permettra de partir sans être pénalisé.

De trop larges clauses de « bad leaver » réduisent au contraire le pouvoir incitatif du plan d’intéressement. Concevoir ces plans avec cette philosophie principalement punitive peut conduire les bénéficiaires de ces plans à finalement considérer les options sur actions comme des chimères. Ce sentiment peut être renforcé par la mise en place des périodes de « cliff » qui permettent de s’assurer que les bénéficiaires de plans contribuent au développement de l’entreprise pendant une certaine période (par exemple 12 mois), avant d’acquérir un droit d’options sur actions.

En permettant aux bénéficiaires de plans d’intéressement de conserver leurs options sur actions acquises lorsqu’ils partent, l’entreprise les récompense pour leur contribution et se construit en même temps une image attractive.

Si les clauses de « Bad leaver » sont essentielles, lorsque les clause de départs dans leur ensemble (« Good leaver » et « Bad leaver ») sont utilisées de manière trop punitives, elles peuvent nuire à la fidélité qui est censée découler de ces plans d’intéressements. Lorsqu’elles sont utilisées à bon escient, elles peuvent au contraire être un outil précieux pour préserver la motivation et l’engagement des employés.

S’agissant des clauses de « Good leaver » et de « Bad leaver », tout est finalement question d’équilibre.

Conclusion : motiver plutôt que punir

Il est important que les entreprises aient une compréhension claire de ce qu’il advient des actions et options sur actions des bénéficiaires de plans d’intéressement lorsque ces derniers quittent l’entreprise. Traiter les dispositions relatives aux départs comme un moyen de dissuasion entrave in fine la capacité de croissance d’une entreprise et nuit potentiellement à sa réputation. Concevoir des dispositions claires davantage pour récompenser les employés pour les années de travail qu’ils ont données à l’entreprise est probablement la meilleure façon de créer de la certitude et de la fidélité.

La structuration d’un plan d’intéressement est relativement complexe. Aussi, un conseil juridique est nécessaire, notamment pour déterminer les conséquences pour chacune des parties impliquées en cas de départ du bénéficiaire de ce plan. Loin de vouloir court-circuiter les teneurs de comptes et conseils, Digistre se propose de les accompagner en mettant à leur disposition un outil de suivi de l’ensemble de ces plans d’intéressement pouvant contenir des dispositifs d’accès différé au capital.

En faisant le choix de Digistre, vous pourrez ainsi suivre vos BSPCE, BSA, AGA ou autres stock options émis en quelques clics et offrir du service digital aux titulaires de ces dispositifs. Une formule de garde existe pour les registres qui mouvementent peu. Pour l’essayer, c’est par ici : Formules

En savoir plus sur Digistre

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading